Le 4 Août 2020, nous avons eu le plaisir d’échanger avec Françoise Jacob. Riche d’une grande expérience dans le secteur de l’humanitaire, elle a rejoint l’ONU et est désormais coordinatrice résidente des Nations unies en Serbie. Elle est la représentante du secrétaire général dans le pays. La grande partie de son travail consiste à mettre en place les objectifs de développement durable (Agenda 2030). Le reste de sa tâche consiste à répondre à des situations d’urgence. Son rôle est l’équivalent d’ambassadeur européen. Françoise Jacob a livré son expertise et répondu à nos questions autour du thème de l’ONU et les menaces de la pandémie mondiale sur le multilatéralisme.
Françoise Jacob
Alors que l'ONU vient de célébrer ses 75 ans, son secrétaire général déplore l'absence de leadership mondial
La crise sanitaire actuelle s’inscrit sur un fond de difficultés que l’on observe depuis maintenant plus d’une dizaine d’années. L’aspect le plus connu est la paralysie du Conseil de sécurité des Nations unies qui nous ramène au temps de la Guerre froide, mais selon une configuration un peu différente. L’ONU est à l’initiative de nombreuses mesures pour faire face à la crise du Covid-19. 1,9 million de personnels soignants et communautaires ont été formés, 155 millions d’enfants sont aidés en matière d’apprentissage. Mais l'interrogation sur la réaction de la communauté internationale est justifiée car elle peine, depuis le début de la crise, à faire entendre sa voix. Les exemples sont abondants : frontières fermées, solidarités remises en cause par les pénuries généralisées, exacerbation des tensions entre la Chine et les États-Unis. Cependant, selon F. Jacob, même si le multilatéralisme demeure en grande souffrance, il parait difficile d'envisager pour l’avenir, un ordre international sans coopération. Aucun acteur semble être suffisamment armé pour faire face, seul, aux défis sanitaires, environnementaux et sociaux.
Au cœur de la tempête, le système multilatéral piloté par l’ONU survivra-t-il ?
Selon Françoise Jacob, l’ONU n’est pas si fragile qu’il n’y parait. Dans le cadre du Covid, on a beaucoup entendu que la crise signait la fin du multilatéralisme. Toutefois cette idée est à relativiser. 165 pays sont officiellement touchés par le virus, l’ONU intervient dans 110 d’entre eux. Dans les premiers quinze jours, chaque pays s’est renfermé, chacun était stupéfait, incertain, avant une reprise des relations multilatérales. En Serbie, le premier cas est apparu le 6 mars. Le 18 mars, l’Union européenne et les Nations Unies ont signé un accord de partenariat de 20 millions de euros. Ceci est un grand exemple de mouvement conjoint. C’est une nouvelle procédure d’engagement avec un nouveau mode de financement. C’est la première fois qu’il y a une crise d’une telle ampleur, il a fallu tout inventer. Il faut combattre l’idée selon laquelle la solidarité internationale s’est défaite avec le Covid.
"Petit à petit le monde s’est rendu compte à travers cette crise que les grands problèmes de société ne pouvaient être résolus par les gouvernements seuls"
Antonio Guterres, Secrétaire général de l’ONU, a expliqué qu’il faut repenser cette multilatéralité des relations internationales. Les secteurs privés et associatifs en particulier doivent être associés. Les villes aussi ont un certain rôle à jouer. On ne parle pas, pour l’instant, de multilatéralisme entre les grandes villes, mais c’est ce qui va se faire dans les années à venir.
Le Conseil de sécurité peut-il continuer à exister en tant qu’organe décisionnaire ?
Aujourd’hui, le constat est sans appel, les États-Unis et la Russie bloquent le Conseil de sécurité. La Chine, elle, tente de faire avancer sa diplomatie, ses propres intérêts. L'attitude de l’Europe est d’utiliser les mécanismes internationaux pour des décisions globales et équilibrées. Au niveau du Conseil de sécurité, les cinq membres permanents sont amenés à changer dans le contexte global actuel. En effet, les rapports de force actuels ne sont pas les mêmes qu’après la Seconde Guerre mondiale.
"Grâce au Covid-19 on a réalisé que la population avait une immense capacité d’adaptabilité. On a vu que l’humanité peut basculer son mode de vie et de travail en trois jours"
Le Conseil de sécurité continue d’avoir des sessions sur la crise actuelle. Tous les jours, Françoise Jacob reçoit un compte rendu. Il n’y a pas de discussions sur la réforme du Conseil de sécurité : ce n’est pas le moment. En revanche, des pays contestent des éléments de la réforme des Nations Unies. La Serbie, la Turquie, la Chine et la Russie voudraient par exemple que le rôle des coordinateurs résidents soit parfois plus - ou moins - politique. La réforme sera un sujet repris au moment de l’Assemblée générale en septembre mais les pays souhaitant une réforme ne sont pas d’accords entre eux sur la solution à adopter. Cette réforme sera difficile car on remet en cause le passé et les bases sur lesquels certains pays ont dominé le monde.
Le rôle des petites et grandes entreprises est essentiel pour l'avenir
La réalisation de l’Agenda 2030 (Décennie d’action et de résultats en faveur du développement durable) ne pourra se faire que s’il y a un mouvement privé conjoint à l'action des Etats. Le rôle du secteur privé est capital et est un des sujets de travail ici en Serbie. Les grandes entreprises commencent à être conscientes de leur rôle dans le développement. On doit s’engager beaucoup plus avec le secteur privé pour trouver des modalités de partenariats qui ne se limitent pas à la responsabilité sociale. On travaille avec les banques de développement pour qu’elles définissent leur programme en prenant en considération les enjeux environnementaux et sociaux par exemple. On s’assure aussi que le FMI et les banques mondiales aient des conditions strictes pour que le travail informel diminue (15% du travail en Serbie par exemple).
Edouard CABOT
Crédit photo : cordmagazine.com
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