Vendredi 1er avril, Place au débat ! a organisé une conférence inédite en partenariat avec la Conférence Olivaint. Entre tradition jacobine et girondine, les hommes politiques français ont toujours été partagés sur la question de la décentralisation du pouvoir en France. À cette occasion nous avons eu l’honneur de recevoir Jean Pierre Raffarin, ancien Premier Ministre français (2002-2005), Laurence Lemouzy, directrice scientifique de l'Institut de la Gouvernance territoriale et de la Décentralisation et Jean-Jack Queyranne, ancien ministre et président de la région Rhône-Alpes.
En début de conférence, nos trois invités sont revenus sur les origines de la décentralisation en France. Jean-Pierre Raffarin a tout d’abord expliqué qu’il concevait la décentralisation comme un projet de liberté permettant d’agir dans une forme de responsabilité. Il a en effet affirmé que la décentralisation était « la volonté d’avoir un État fort tout en préservant un esprit de liberté ».
"La décentralisation est un concept de modernisation de la société française visant à inscrire les institutions dans une nouvelle phase de modernité"
Ensuite, Jean-Jacques Queyranne est revenu sur les causes de ce processus de décentralisation qu'il conçoit comme la revanche du jacobinisme contre l’État central. Il s’agirait selon lui « d’un concept de modernisation de la société française visant à inscrire les institutions dans une nouvelle phase de modernité ». Laurence Lemouzy a enfin tenu à rappeler qu’il est souvent difficile de parler de décentralisation dans un état unitaire comme la France. Cette dernière a affirmé que « le processus avait été pendant 40 ans une véritable pièce de théâtre écrite par l’État et pour l’État ».
"La décentralisation constitue la seule solution pour faire tenir notre République et pour répondre aux défis de demain"
Puis, nos invités sont revenus sur l’état actuel de la décentralisation française. Laurence Lemouzy a rappelé que nous étions dans une phase où l’État était le pilote de la fiscalité. Elle note notamment que les collectivités territoriales françaises ont une marge de manœuvre financière très faible. La décentralisation serait un terme dépassé. Cette dernière préfère aujourd’hui parler de gouvernance. Selon elle, « la gouvernance marque la volonté de décider par la participation citoyenne ». Toutefois, elle a alerté sur le fait que « la décentralisation constitue la seule solution pour faire tenir notre République et pour répondre aux défis de demain. » Quant à Jean-Pierre Raffarin, il a expliqué que la
« France a bien souvent du mal à donner l’énergie et la marge d’action suffisante aux territoires ». Depuis le quinquennat de Nicolas Sarkozy, le leadership serait concentré entre les mains d’une même entité : l’État. L’ancien Premier ministre a même parlé de « recentralisation ».
"La décentralisation frôle l’obsolescence"
Enfin, Jean-Jacques Queyranne a défendu l’idée selon laquelle le mouvement de décentralisation en France semble marquer le pas. Il fait en effet le constat alarmant d’une usure démocratique illustrée par les faibles taux de participation constatés lors des dernières élections. Selon lui, « la décentralisation frôle l’obsolescence ». L’enracinement qui faisait la force de la décentralisation serait aujourd’hui limité.
Nos trois prestigieux invités ont également été questionnés sur la place qu’occupe aujourd’hui l’Europe dans le processus de décentralisation. Jean-Pierre Raffarin a révélé avec nostalgie qu’il avait autrefois connu « une période fantastique où les fonds européens étaient discutés avec les régions ». Aujourd’hui l’Europe aurait récupéré ses fonds et ne souhaiterait plus les partager. Ce dernier estime qu’on l’on donne du pouvoir aux régions mais pas de réelles responsabilités. Il lui parait essentiel que l’Europe fasse davantage confiance aux territoires. Quant à Jean-Jacques Queyranne, il considère qu'il n’y aurait plus en Europe une réelle volonté de s’appuyer sur un pouvoir régional. La logique actuelle serait de reprendre en main ce qui avait été concédé dans le passé. L’ancien président de région a concédé que « la tentation de l’Europe formulée par Jacques Delors n’est qu’un lointain souvenir ».
Enfin, Laurence Lemouzy et Jean-Pierre Raffarin ont tenu à établir une distinction entre « régionalisme et « différenciation ». L’ancien Premier ministre a déclaré être un fervent défenseur des particularités territoriales. Il lui parait en effet nécessaire d’inscrire dans la Constitution les différenciations existantes entre les régions françaises. L’unité de la nation ne passerait plus par un statut obligatoirement identique du territoire. Quant à Laurence Lemouzy, elle estime que le processus de décentralisation est par essence un processus de différenciation. Il serait judicieux selon elle d’adapter les politiques en fonction du territoire concerné.
L’ensemble de l’équipe de Place au Débat remercie chaleureusement Laurence Lemouzy, Jean-Jacques Queyranne et Jean-Pierre Raffarin pour leur venue à Sciences Po Lyon, ainsi que les étudiants pour leur participation, tout comme le personnel de Sciences Po Lyon pour le prêt des locaux.
À bientôt pour de nouvelles conférences !
Enzo LAVASTRE
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